Aujourd’hui j’ai vécu un moment rare au cinéma, une pause où le temps semble s’arrêter de lui-même, j’ai assisté à la projection de "L’échange" de Clint Eastwood. Un long métrage de légende, le film d’une vie, une œuvre comme on en voit une ou deux par décennie. J’ai encore des frissons qui me parcourent l’échine au moment où je rédige ces lignes. J’ai rarement eu la chance, que dis-je le privilège de voir un film d’une telle puissance dramatique. Il va me falloir un certain nombre de jours pour assimiler tout ce que "L’échange" dégage.
Los Angeles, 1928, Christine Collins (Angelina Jolie) travaille comme responsable d’équipe dans une importante compagnie de téléphone. Elle élève seule son fils de 9 ans Walter (Gattlin Griffith). Un matin elle part travailler et laisse son enfant seul toute la journée. A son retour le soir ce dernier a disparu.
La Police de Los Angeles prétend avoir retrouvé le jeune garçon au bout de cinq mois d’intenses recherches. A la cérémonie de retrouvailles, Christine déclare que l’enfant qu’on lui présente n’est pas son fils. Elle le ramène quand même chez elle sachant pertinemment qu’elle cohabite avec un étranger. La jeune femme souhaite continuer les investigations mais l’institution policière, en la personne du Capitaine J.J Jones (Jeffrey Donovan) ne souhaitant pas se déjuger, tente d’entraver les démarches d’une mère au comble de l’inquiétude.
Christine est même internée quelques jours dans un établissement psychiatrique par la Police qui tente de la faire passer pour folle. La seule personne qui lui tend la main durant toutes ces nombreuses démarches est le révérend Briegleb (John Malkovich) qui a pris l’habitude de prêcher grâce aux ondes radiophoniques. Ses sermons visent particulièrement la police de Los Angeles qui est rongée jusqu’à l’os par une corruption de tous les instants et dont les méthodes expéditives choquent la population.
Au final il s’avère que Walter Collins a peut être été l’une des innombrables victimes d’un redoutable tueur en série, Gordon Northcott (Jason Butler Harner).
"L’échange" est un vrai drame qui vous arrache le cœur, qui donne des frissons tant la situation de cette femme révolte le commun des mortels. Le spectateur est embarqué dans une histoire qui pourrait être celle de n’importe quel père ou mère de famille. Notre corps tout entier crie sa révolte pendant les deux et demie que dure le long métrage. La rage s’installe et ne quitte plus le spectateur horrifié par l’immobilisme des institutions. La police de Los Angeles est pourrie jusqu’à la moelle, elle ment à une mère qui subit la pire épreuve de sa vie et met au ban de la société les gêneurs.
Le spectateur est témoin de la détresse de cette femme. Il partage son combat, ses recherches au quotidien et subit les vexations, les brimades physiques. Nous savons que Christine Collins est dans son bon droit et qu’indiscutablement c’est la chair qui parle quand elle rejette le petit garçon qu’on lui présente.
L’histoire passionne dès les premiers instants. Le tour de force de Clint Eastwood est d’enchâsser son drame dans un thriller policier des plus efficaces. Tout au long su du film il passe de l’un à l’autre avec maîtrise et aisance. La tragédie individuelle de cette jeune femme rebondit car nous nous rendons compte que son cas n’est pas isolé.
Maître Eastwood est aussi juste dans sa démarche. Il nous présente quelques pâles figures de la police de la cité des anges mais contrebalance son propos en mettant en scène aussi des policiers qui traquent un redoutable prédateur sans relâche et qui mettent tout en œuvre pour le capturer.
Le film s’appuie sur un scénario de J.Michael Straczynski d’une incroyable finesse. Chaque scène fourmille de nombreux détails. Rien n’est laissé au hasard. « L’échange » donne l’occasion à Clint Eastwood de nous proposer l’une des plus fidèles reconstitution historique du 7ème art. Les décors, les accessoires, la musique, les tenues vestimentaires sonnent non seulement vrais mais l’immersion dans l’Amérique de la fin des années 20 est presque palpable, on a vraiment l’impression d’y être pleinement.
Mais les éléments sonores ou visuels de la mise en scène, les plans de caméra, la toile de fond de ce drame ne sont qu’accessoires dans une certaine mesure. L’âme du long métrage est ailleurs. « L’échange » est une œuvre de vie et de mort, entre espoirs et désespoir. L’adhésion ne peut être que totale tant l’universalité du sujet nous touche. Le film recèle en lui une force destructrice, une puissance de tous les instants.
C’est aussi le portrait d’une femme qui se bat pour retrouver son fils. Un être qui refuse toutes les compromissions. Malgré la douleur, un feu sacré brûle en elle. Les montagnes de la bureaucratie et de la corruption ne peuvent pas l’arrêter dans sa démarche. Les femmes qu’elle rencontre dans l’établissement psychiatrique deviennent aussi son cheval de bataille en cours de route. Aidée par quelques connaissances dont l’avocat S.S Hahn (Geoffrey Pierson), Christine Collins provoque la chute d’un système vicié.
"L’échange" donne l’occasion à Angelina Jolie de livrer une performance exceptionnelle. Un rôle taillé sur mesure et qui lui permet de nous offrir un jeu tout en nuances. Sa composition la fait osciller entre la représentation d’un être blessé par la vie et celle d’une femme, une mère de famille combattante qui lutte en son âme et conscience, persuadée que son fils est "ailleurs" et en vie. L’actrice américaine nous émeut. Ses larmes et celles des spectateurs coulent à l’unisson.
L’excellence du long métrage de Clint Eastwood tient aussi dans le choix judicieux d’interprètes de qualité. John Malkovich est sobrement efficace. Jeffrey Donovan nous agace par sa suffisance et son inaction. Denis O’Hare joue un médecin expert en psychiatrie dont le cynisme nous glace d’effroi. Colm Feore interprète un chef de la police qui révolte le public par sa propension à défendre l’indéfendable. Jason Butler Harner campe un tueur en série bestial qui nous met mal à l’aise tout au long du film. Geoffrey Pierson interprète avec maîtrise l’une des (trop rares) bonnes âmes du film. Michael Kelly (Détective Ybarra) est l’un des éléments qui changent la donne au sein d’une police rongée par la corruption.
Clint Eastwood met en scène un long métrage plastiquement parfait. La réalisation est maîtrisée, assumée, aboutie. Je ne lui trouve aucun défaut. L’œuvre est émouvante, réelle, actuelle. Le film délivre un message intemporel d’espoir. Malgré toutes les épreuves, une femme trouve le courage de se relever et de dire "non" à un système qui n’a que faire des femmes célibataires.
"L’échange" résonne comme une leçon de vie.